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Six mois d’obscurité: les tchadiens numériquement deconnectés

Le 2 avril 2018, le gouvernement du Tchad a coupé l’accès aux réseaux sociaux Facebook, Twitter et WhatsApp. Cela fait six mois et le peuple tchadien continue de vivre en suspens, ne sachant pas quand ces plateformes seront restaurées. Le Réseau Africain de la liberté  d’Expression (AFEX) dans  le cadre de son plaidoyer pour les droits numériques vous présente une analyse de la situation par Salim Azim ASSANI, un membre de la plateforme de blogueurs francophones de RFI, Mondoblog et un acteur majeur de l’espace numérique au Tchad. Ci-dessous est une analyse des incidents de perturbation du réseau sociaux enregistrés au Tchad au cours des deux dernières années:

Les Internautes tchadiens continuent de faire face à la censure.

Si Facebook, Twitter et WhatsApp étaient des salles de classes où les utilisateurs en étaient les élèves, les tchadiens seraient certainement parmi les mauvais élèves, avec jour pour jour 6 mois d’absences ce 02 Septembre 2018. Une situation imposée par une censure dont personne (ni le gouvernement, ni les fournisseurs d’accès à internet) n’ose en porter la responsabilité. Entre temps, le Tchad est inexplicablement absent de ces réseaux sociaux.

 D’abord, il faut savoir qu’au Tchad, loin d’être un outil banal, Internet est un luxe. Seulement 5% des tchadiens ont accès à l’internet avec une qualité qui laisse à désirer malgré le fait que les deux principaux fournisseurs d’accès, Tigo et Airtel, soient passés à la technologie 4G. Il est clair que les autorités nationales sont conscientes que le fossé qui sépare le Tchad du numérique est grand, pour ce fait, des projets de grandes envergures sont annoncés. Il s’agit entre autre : de la création d’un Centre Africain des Technologies de l’Information (CATI), de l’interconnexion à trois fibres optiques venant du Cameroun, du Soudan, et de la Transsaharienne, venant de l’Algérie en passant par le Niger. Malheureusement, en toute contradiction avec toutes ces bonnes ambitions, une autre main censure l’internet, rendant les réseaux sociaux les plus utilisés par les tchadiens inaccessibles.

La censure d’internet au Tchad a eu lieu lors des manifestations contre le viol de Zouhoura

Le 18 février 2016, les réseaux sociaux ont été coupés avec un manque d’accès au Webmail comme Gmail, Yahoo et Outlook.com, suite à de larges protestations contre le viol de Zouhoura, une jeune lycéenne. La publication d’une vidéo du viol avait été partagée sur les réseaux sociaux, par ses bourreaux. Le chef de l’Etat a même utilisé les réseaux sociaux pour la première fois pour condamner cet acte. L’ensemble des réseaux sociaux avaient été coupés le lendemain de son intervention.

Néanmoins, il faut se dire qu’avant la censure liée aux manifestations Zouhoura, les réseaux d’information avaient été visés.. Le blog de Makaïla, les journaux en ligne Tchadinfos et Tchadactuel étaient déjà censurés meme s’ils etaient  rétablis plus tard.

La censure du net pendant les élections, un rituel africain

Du 9 au 11 avril 2016, il y a eu un blackout d’internet. Pas d’internet ou SMS et le réseau téléphonique était très perturbé et cela, au cours des élections présidentielles. Les services ont été relancés progressivement pour une reprise totale trois semaines plus tard.

Puis des coupures sans justificatif

Les raisons du blocage des réseaux sociaux du 9 mai 2016 étaient restés sans explication, jusqu’à la levée de la censure le 2 décembre 2016. Il y a eu de nombreuses voix qui se sont levées contre cette situation. Internet Sans Frontières et d’autres organisations, tel qu’Access Now, qui militent pour un internet transparent et neutre étaient sur les premières lignes. Selon Internet Sans Frontières (ISF), cette situation aurait faire perdre 500 millions d’euros environ au Tchad.

Une autre censure est en cours, depuis le 2 avril 2018

Depuis le 2 Avril 2018, une autre censure bat son plein, obligeant les tchadiens, déjà expérimentés à ces types de situations, à utiliser des canaux dérobés afin d’accéder à Internet. Annadjib, un jeune blogueur confiait à TV5 Monde, son amertume face aux censures qui ont fini par modifier ses habitudes d’internaute assidu.

Tout au début de cette censure, le Réseau Africain de la liberté  d’Expression (AFEX) avait écrit aux responsables d’Airtel, sans réponse de leur part. AFEX a ensuite publié une déclaration condamnant cette situation. Internet Sans Frontières (ISF) a écrit des articles et fait intervenir son responsable Afrique Central sur la situation, sans succès.

Le 24 août 2018, ISF et un collectif d’avocats tchadiens, dirigé par Me Frédéric Daïnonet, ont porté plainte contre les opérateurs de téléphonie mobile Airtel et Tigo pour blocage de l’accès aux réseaux sociaux, depuis cinq mois. Il dénonce une violation du droit des consommateurs et une atteinte à la liberté d’expression, sans une quelconque justification. Mais en attendant, le réseau reste censuré.

Fuite en avant du gouvernant

Dans une interview radio, Monsieur Ahmat Bachir, Ministre de la Sécurité Publique et de l’Administration du Tchad a nié les restrictions des réseaux sociaux par les opérateurs. Selon lui, “le gouvernement n’aurait autorisé aucune perturbation ou restriction des réseaux sociaux“. Pour le ministre tchadien, la censure éprouvée par la majorité des tchadiens est un mythe. Invectivant les groupes de la société civile qui portent plainte actuellement devant les tribunaux tchadiens pour le rétablissement d’une connectivité normale, il a déclaré :   “ce sont des mauvaises langues, des ragots”. C’est ce que l’on peut lire sur le site web d’ISF.

Des habitudes, les internautes tchadiens en ont changés, malgré eux

Contraint d’utiliser des applications pour se connecter aux réseaux sociaux, les tchadiens se plaignent des coûts additionnels. La seule alternative pour ne pas dépasser son budget internet mensuel est de se connecter moins que d’habitude. Ce qui ne favorise guère la croissance de l’économie numérique et l’émergence d’une véritable liberté d’expression.

La paranoïa s’est installée dans le milieu des internautes tchadiens

Souvent, on entend dire que WhatsApp est surveillé, et que la plupart des réseaux sociaux le sont aussi. Ces sont là, des rumeurs qui circulent dans le milieu des internautes. Les plus prudents ont désactivés leurs comptes sur les réseaux sociaux, d’autres ne sont juste que des observateurs, et les plus courageux continuent de naviguer comme si de rien n’était, au cas où ils ne se seraient pas transformer en activistes au nom de la libération de « leur internet ».

En aucun cas, la censure ne peut se substituer au dialogue. Museler tout un peuple, revient à le révolter davantage et de perdre sa confiance. C’est pourquoi, il serait judicieux de travailler à protéger les internautes à travers la législation, afin de les prémunir contre les dangers du web. L’Etat tchadien a le devoir de favoriser l’accès à internet, de garantir sa transparence et de proposer une éducation à la culture numérique aux citoyens afin qu’ils en tirent pleinement profit.

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